C'est un appel majeur : plus de 2 000 scientifiques de 67 pays ont demandé
à la communauté internationale de protéger l'océan Arctique, en interdisant la
pêche commerciale tant que la recherche et un encadrement réglementaire
n'assureront pas le respect de cet environnement des plus fragiles. Leur
mobilisation s'est exprimée dans une lettre ouverte
à l'organisme environnemental PEW Environment Group, dimanche 22 avril, à l'occasion de l'ouverture de l'année
polaire internationale.
La fonte de la banquise, qui a atteint
des records au cours de l'été dernier du fait du réchauffement climatique, a en effet ouvert des passages vers
des eaux situées au-delà des zones
économiques exclusives des nations limitrophes de
l'Arctique. En tout, plus de 2,8 millions de kilomètres carrés constituent ces
eaux internationales – soit un peu plus que la Méditerranée –, qui pourraient
être accessibles à l'activité humaine pendant les mois d'été d'ici dix à quinze
ans.
Bien qu'aucune activité industrielle ne s'est développée dans la partie
septentrionale de l'Arctique, le potentiel économique de la zone attise les
convoitises. Il y a bien sûr les gisements de pétrole et de gaz, sur lesquels
les entreprises se positionnent depuis quelques années, au grand
dam des associations écologistes – les régions polaires abriteraient de 15 % à 30 % des réserves d’or noir
et de gaz pas encore découvertes de la planète. Mais les géants pétroliers ne
sont pas les seuls à souhaiter prospecter au pôle Nord : il en va de même des
industriels de la pêche, attirés par les perspectives de ressources encore
vierges et surtout d'absence de réglementation internationale.
C'est ce point qui inquiète les chercheurs. "La communauté
scientifique ne dispose actuellement pas de suffisamment de données biologiques
pour comprendre la présence, l'abondance, la structure, les mouvements et la
santé des stocks de poissons et le rôle qu'ils jouent dans l'écosystème élargi
du centre de l'océan Arctique", estiment les scientifiques. Les 2 000
chercheurs appellent donc à un moratoire sur la pêche commerciale dans la
région jusqu'à ce que ses impacts sur les écosystèmes, en particulier ceux des
phoques, des baleines et des ours polaires, puissent être évalués, de même que
l'effet sur les populations, dont la subsistance et le mode de vie dépendent de
ces ressources. Ils demandent en outre aux gouvernements des Etats riverains de
l'océan Arctique – Canada, Danemark, Etats-Unis, Norvège et Russie – de
travailler à la conclusion d'un accord international basé sur la recherche
scientifique et le principe de précaution.
Reste à savoir quelles sont véritablement les ressources halieutiques de la
région. "Pour l'instant, il n'existe pas vraiment de véritables stocks
présentant un intérêt commercial dans le bassin central de l’océan Arctique,
explique Louis Fortier, directeur de l’institut Arctic Net de l'université
Laval à Québec. Mais avec la disparition progressive de la banquise, la
productivité biologique des écosystèmes va augmenter, entraînant le
développement des stocks au cours du siècle, notamment au nord du détroit de
Béring, et à l'est de la mer de Barents."
"Le risque est alors d'importer en Arctique les politiques de surpêche
qui sont à l'œuvre dans le reste des océans et qui ont conduit à la
surexploitation de certains gros poissons entraînant un déséquilibre des
écosystèmes marins, poursuit le chercheur. Dans
le cas du pôle Nord, cette situation sera davantage dévastatrice dans la mesure
où les stocks de poissons ont une croissance lente, du fait des températures
très basses, ce qui rend le renouvellement de l'espèce difficile. Il faut donc
prendre dès maintenant un moratoire, avant que la pêche industrielle ne débute,
pour analyser si les taux de croissance des poissons sont suffisants pour être
exploités."
La pêche de subsistance, elle, n'est pas concernée par cette mesure. Si
elle s'est révélée plus importante, au cours des cinquantes dernières années,
que les chiffres déclarés par les gouvernements à la FAO, selon une étude
réalisée par l'université de Colombie-Britannique publiée en février, elle reste néanmoins négligeable. "Aujourd'hui,
les captures demeurent très faibles. Pour toutes les eaux arctiques
dépendant de l’Alaska, par exemple, on les estime à quelque 89 000 tonnes par
an, soit environ 0,1 % des prises mondiales répertoriées. Une petite moitié est
destinée au commerce, le reste sert à la subsistance des populations
locales."
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