Le 7e continent de plastique :
ces tourbillons de déchets dans les océans.
Le Monde.fr | 09.05.2012 Par Audrey Garric.
Le "7e
continent de plastique". On le décrit comme une immense plaque de déchets
évoluant dans le nord de l'océan Pacifique, de la taille d'un tiers des
Etats-Unis ou de six fois la France. Aussitôt se forme à l'esprit l'image d'un gigantesque
amas compact de sacs plastiques, bouteilles, filets et autres bidons...
En réalité, ce
phénomène, qui effraye et fascine à la fois, ressemble plus à une "soupe de plastique"
constituée de quelques macro déchets éparses, mais surtout d'une myriade de
petits fragments. "L'image
d'un continent sert à sensibiliser le grand public,
mais ne rend pas compte de la réalité, explique
François Galgani, océanographe et chercheur spécialiste des déchets à
l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Il s'agit plutôt d'une multitude de
micro-plastiques, d'un diamètre inférieur à 5 mm, en suspension à la surface ou
jusqu'à 30 mètres de profondeur, difficiles à voir de loin. Mais
quand on puise dans l'eau, on en remonte une quantité impressionnante."
Cette pollution,
invisible depuis l'espace, se retrouve dans cinq grand bassins océaniques, au
sein du Pacifique
Nord, mais aussi du Pacifique
Sud, de l'Atlantique
Nord et Sud et de l'océan Indien. Ces zones sont en effet
caractérisées par la rencontre de courants marins qui, influencés par la
rotation de la Terre, s'enroulent dans le sens des aiguilles d'une montre dans
l'hémisphère nord, et en sens inverse dans l'hémisphère sud, selon le principe de la force de Coriolis, et
forment d'immenses vortex appelés gyres
océaniques. La force centripète aspire alors lentement, en
plusieurs années, tous les détritus qui flottent sur l'eau vers le centre de la
spirale, où ils s'amalgament et d'où ils ne sortent jamais.
"LA GRANDE
POUBELLE DU PACIFIQUE"
La première
plaque de déchets, et la plus importante, a été découverte par hasard par le
navigateur Charles
Moore en 1997. Au retour d'une course à la voile entre
Los Angeles et Honolulu, l'explorateur avait décidé de prendre une route habituellement évitée par
les marins, au centre de la gyre du Pacifique Nord, où les pressions sont
hautes et les vents faibles. "Jour
après jour, je ne voyais pas de dauphins, pas de baleines, pas de poissons, je
ne voyais que du plastique", se souvient-il.
Débute alors sa
lutte contre le plastique. Charles Moore met à contribution les scientifiques
de son ONG, l'Algalita Marine Research Foundation, pour mettre au point une méthode de
quantification des déchets en filtrant l'eau des océans. Sept expéditions sont
menées dans cette zone de 3,4 millions de km2, que l'on surnomme
rapidement le "Great Pacific
Garbage Patch" (la "grande poubelle du
Pacifique"). L'équipe y dénombre 334 271 fragments de plastique par km2
en moyenne, avec des pics à 969 777 fragments par km2. La masse de
plastique y est six fois plus élevée que celle du plancton, pour un poids
estimé de plusieurs dizaines de milliers de tonnes à plusieurs millions, selon
différentes études, dont les modes de calcul et résultats divergent.
Afin de mieux
connaître cette zone encore largement inexplorée, car trop vaste, une
nouvelle expédition scientifique, française cette
fois, est en préparation. Le skipper guyanais Patrick Deixonne, membre de la
Société des explorateurs français et fondateur de l'entreprise d'expéditions
Ocean Scientific Logistic, doit ainsi partir de San Diego d'ici à la fin mai
pour un périple d'un mois et 2 500 milles entre la Californie et Hawaï. "Notre but est d'alerter sur la pollution
sournoise en cours dans cette zone, qui s'avère très peu médiatisée en Europe",
explique l'explorateur. Le bateau, une goélette des années 1930, sera guidé par
des satellites pour se rendre là où la concentration de déchets
est la plus forte afin d'en mesurer la densité, avec des prélèvements
d'eau, de plancton et de fragments, puis de cartographier les zones
polluées.
PLAQUES DE
L'ATLANTIQUE ET DE LA MÉDITERRANÉE
Des recherches
sont également menées dans les autres océans. En 2010, une nouvelle plaque de
déchets, celle de l'Atlantique nord (The North
Atlantic Garbage
Patch), est découverte au large
des Etats-Unis par une équipe de chercheurs de la Sea Education Association, une
organisation privée de recherche, de la Woods Hole Oceanographic Institution, plus
grand institut mondial privé d'études océanographiques à but non lucratif, et
de l'université de Hawaï, dont les conclusions sont publiées dans la revue
américaine Science. Résultat : dans cette zone, d'une taille comparable à
celle de sa voisine du Pacifique, les eaux renferment jusqu'à 200 000 débris
par km2. "Le
poids total des déchets ne dépasse toutefois pas les 1 100 tonnes de
plastique", note François Galgani.
Le chercheur est
à l'origine d'une autre
expédition, en Méditerranée cette fois. Si aucun gyre permanent n'y
existe, des tourbillons ponctuels et les importants rejets des Etats côtiers
entraînent aussi une accumulation de détritus. En 2010, l'expédition
MED (Méditerranée en danger) évalue à une moyenne de 115 000
particules par km2 les déchets qui contaminent la mer. "Là encore, le poids total de ces
plastiques est moins impressionnant : 600 tonnes, à raison d'une moyenne de 1,8
mg par déchet. Mais le risque, c'est de voir ces quantités augmenter considérablement
avec le temps, la Méditerranée étant quasi-fermée",
explique François Galgani.
AGGRAVATION DU
PROBLÈME
Les déchets qui
peuplent les océans proviennent en effet à 80 % des terres, portés par le vent
ou les rivières – le reste tombant des navires de commerce. Jusqu'alors, les
débris flottants étaient détruits par les micro-organismes, mais cela n'est
plus le cas avec l'arrivée des plastiques, essentiellement du polyéthylène, du
polypropylène et du PET, qui constituent 90 % des déchets maritimes. Or, ces
quantités ne cessent d'augmenter. On estime que
300 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde,
dont près de 10 % finissent dans les océans. Le modèle ci-dessous, réalisé par
le site de rercherche 5gyres, montre que la
concentration de déchets va aller grandissante au cours de la
décennie :
Une preuve de cette aggravation
du phénomène vient d'être apportée par une nouvelle étude de l'université
de Californie à San Diego, publiée
mercredi 9 mai par la revue Biology
Letters de la Royal Society
britannique. Selon les chercheurs, la concentration de microplastiques a été
multipliée par cent au cours des quarante dernières années dans le gyre
subtropical du Pacifique nord.
Or, ces
plastiques mettent des centaines d'années à se dégrader. Et si la lumière du
soleil photodégrade quelque peu les chaînes des polymères plastiques, en les
fractionnant en morceaux, ce phénomène ne fait en réalité qu'empirer les choses. Devenu plus petit, le
plastique constitue une grave menace pour la biodiversité : il peut ainsi être
ingéré par les poissons, oiseaux et autres organismes marins, suscitant
blessures et étouffements. Sans compter que ces déchets génèrent des
substances toxiques dans les océans et peuvent créer un déséquilibre des
écosystèmes.
Que faire contre ces poubelles flottantes ?
Si des opérations de nettoyage des gyres ont déjà été entreprises ou sont
à l'étude, comme le projet
américain Kaisei, la tâche paraît titanesque étant donné l'ampleur des
zones contaminées et le nombre de micro-fragments. D'autant que ces déchets se
trouvant essentiellement hors des eaux nationales et des Zones économiques exclusives, aucun
Etat ne veut en assumer la responsabilité ni le coût.
"Le plus
accessible serait de se concentrer sur le nettoyage
des canaux et rivières qui débouchent dans les océans, ainsi que les plages,
afin de prévenir une accumulation de déchets plus au large et en profondeur,
explique Marieta Francis, directrice exécutive de l'Algalita Marine Research
Foundation. Mais l'essentiel
est surtout de réduire la quantité de déchets produite, en limitant la consommation
d'emballages, en les recyclant et les réutilisant au maximum et en recherchant
d'autres alternatives, comme des plastiques biodégradables ou compostables, du
papier ou de l'aluminium."
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